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Faire d’une histoire douloureuse une force positive

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Journée de réflexion sur les violences faites aux femmes, dans la commune d'Almensilla, près de Séville (M.G./Le Monde.fr)

Dans une salle municipale d'Almensilla, dans la banlieue de Séville, une trentaine de femmes de tous âges sont réunies à l'occasion d'une journée de réflexion sur les violences conjugales organisée par la mairie. Elles écoutent les témoignages d'Antonia Avalos Torres et de Gracia Prada (il y a quelques jours, nous vous avions présenté ces femmes et la communauté solidaire d'épargne et de crédit qu'elles ont mise en place).

L'auditoire est attentif et oscille entre bonne humeur et inquiétude quant à la gravité du sujet abordé. "Aujourd'hui, vous nous voyez comme des femmes bien dans notre peau, bien maquillée, jolies, entreprenantes. Mais cela n'a pas toujours été le cas, explique Antonia, sans se départir d'un grand sourire. Avant, nous ne parlions pas. Mais notre message, c'est qu'on peut sortir de la violence." Gracia précise : "Le plus difficile quand on a subi des violences, c'est de l'admettre devant la société. Souvent, on a honte."

Antonia Avalos Torres et Gracia Prada livrent leurs témoignages aux habitantes d'Almensilla. (M.G./Le Monde.fr)

Antonia et Gracia ont fait de leur histoire un "témoignage positif". Elles ne se disent jamais "victimes", mais "survivantes". Aujourd'hui, elles aident et conseillent d'autres femmes ayant subi des violences, par le biais de la fondation Ana Bella qui les emploie, une association sévillane fondée en 2006 et qui vient d'être récompensée par le ministère de santé publique.

L'histoire de la fondatrice de l'association est elle-même exemplaire. Ana Bella s'est mariée à 18 ans. Bien trop tôt, dit-elle. Trop jeune pour réaliser que le comportement tyrannique de son mari, qui l'empêchait de sortir seule et la défiait en permanence, n'était pas un comportement "normal". Il aura fallu onze ans à Ana pour se résoudre à quitter le confort matériel d'une maison pour se retrouver du jour au lendemain dans un centre d'accueil avec ses quatre enfants de 8, 6, 4 ans et 9 mois. Sans expérience professionnelle, la jeune femme doit reprendre le travail et se battre pour offrir une vie digne à ses enfants. De cette difficile expérience, elle tire une motivation sans faille pour aider des femmes dans sa situation et décide de monter une association.

Ana Bella conseille des femmes victimes, les soutient dans les difficiles démarches juridiques, les accueille parfois plusieurs semaines ou plusieurs mois chez elle, se démène pour leur trouver du travail et un logement. Aujourd'hui, la Fondation est organisée, emploie une dizaine de femmes, est propriétaire de deux logements qui peuvent accueillir des familles, compte plusieurs juristes et psychologues bénévoles, a lancé une entreprise de nettoyage et une de catering.

Reportage sur la fondation Ana Bella réalisé par Canal Sur

La prévention dans des écoles et l'apport de témoignages, comme ici à Almensilla, est un autre aspect essentiel du travail de la Fondation. A Almensilla, la discussion s'échauffe quand le débat porte sur le dépôt de plainte. A quel moment faut-il le faire ? Les assistantes sociales d'Almensilla insistent pour déposer plainte au plus vite. Antonia et Gracia nuancent : "Le plus important pour porter plainte est de se sentir d'abord protégée. Nous ne pouvons faire pression pour dénoncer car nous savons la panique que cela peut provoquer." Pour Antonia, le processus doit être engagé par la femme, quand elle se sent prête. "Chacune doit faire son propre cheminement pour acquérir sa liberté. Notre devoir est d'apporter tous les outils – juridiques, médicaux, psychologiques, financiers – nécessaires à ce processus. Mais la démarche doit venir de chacune."

Chary Contreros approuve. Elle aussi a longuement hésité avant de porter plainte et a gardé un souvenir amer de certains rendez-vous avec des assistantes sociales qui la poussaient à engager les démarches alors qu'elle ne se sentait pas prête. Aujourd'hui, femme fière et indépendante, à la tête d'une petite entreprise de nettoyage, Chary a néanmoins toujours peur. Son ancien mari habite dans le même village, il lui arrive de voir sa voiture garée près de la boulangerie ou du distributeur automatique. "Je ne peux pas quitter ce village. Mes parents vivent ici et ils ont besoin de moi", dit-elle, tout en estimant qu'un jour, pour être complètement libérée, il lui faudra certainement faire le pas.


La lutte contre les violences conjugales en Espagne

Fin 2004, l'Espagne votait l'une des lois les plus avancées contre les violences de genre. Adoptée à l'unanimité des députés, l'Espagne a été un des premiers pays à prendre le problème comme un phénomène global, affectant tous les aspects de la vie des femmes. La loi a posé les galons d'une série de mesures s'appliquant dans les domaines de l'éducation et de la prévention, de la santé, de l'accueil et de la protection des victimes, de la formation professionnelle, etc. La législation est enviée à l'étranger, mais suscite quelques critiques en interne. "Quand sept ans après son entrée en vigueur, on dénombre 500 assassinats, il est difficile de rester optimiste sur l'efficacité de cette loi", écrit l'avocate féministe Lidia Falcon dans le quotidien Publico, qui reproche à cette législation d'être trop restrictive sur les cas auxquels elle s'applique.

Mathilde Gérard


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